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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

j’avais envoyé une loge à Odilon Barrot, en lui faisant dire que je dînerais chez lui, et me réservais une place dans sa loge.

Le dîner dura plus longtemps qu’on ne croyait ; madame Odilon Barrot, jeune et charmante femme alors, toujours femme d’esprit, et d’un esprit original, — chose rare chez les femmes, — était sur les épines. Le grand tribun ne se figurait pas que l’on pût, pour une première représentation, éprouver de pareilles impatiences.

Nous arrivâmes à la moitié du second tableau, juste pour entendre la tirade des grandes dames.

La salle était en ébullition. On sentait le grand succès ; il était dans l’air ; on le respirait.

La fin du second tableau fut d’un effet terrible. Buridan sautant par la fenêtre dans la Seine, Marguerite démasquant sa joue sanglante, et s’écriant : « Voir ton visage, et puis mourir, disais-tu ? Qu’il soit donc fait ainsi que tu désires… Regarde, et meurs ! » tout cela était d’un effet saisissant et terrible ! Et, quand, après cette orgie, — cette fuite, — cet assassinat, — ces rires éteints dans les gémissements, — cet homme précipité dans le fleuve, — cet amant d’une nuit assassiné sans pitié par sa royale maîtresse, — on entendit la voix insouciante et monotone de l’avertisseur de nuit qui criait ; « Il est trois heures ; tout est tranquille : Parisiens, dormez ! » la salle éclata en applaudissements.

Le troisième tableau est mauvais, je puis le dire hardiment : il était presque entièrement de moi, et fait tout de chic ; cependant, il ne laissa pas languir l’intérêt ; le second en avait bourré les spectateurs pour un certain temps. — J’ai dit, on se le rappelle, qu’à part un remaniement de scène, le second était presque tout entier dans le manuscrit de M. Gaillardet.

La fin du troisième tableau, d’ailleurs, releva le commencement : la dernière scène était tout entière à Gaultier d’Aulnay venant demander à Marguerite de Bourgogne vengeance du meurtre de son frère, sans savoir que ce meurtre avait été commis par elle ; Lockroy y était magnifique de douleur.