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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

texte que le siffleur troublait la représentation, le mit à la porte.

Harel, dis-je, ne fît aucune difficulté pour le traité à part ; mais il n’en fut pas de même pour l’incognito que je désirais garder : ce fut une véritable lutte que je dus soutenir, et dans laquelle il déploya le luxe éblouissant de son esprit, l’arsenal foudroyant de ses paradoxes.

Je résistai ; Harel se retira vaincu.

Il était décidé et signé que j’avais mon traité à part, que je ne me nommerais pas, et que M. Gaillardet, nommé seul le soir de la première représentation et sur l’affiche, toucherait seul la totalité des droits accordés au théâtre de la Porte-Saint-Martin, à l’époque où M. Gaillardet avait signé son traité ; seulement, je me réservais de mettre le drame à mon nom dans mes œuvres complètes.

À partir de ce moment, Verteuil ne me quitta plus. Tous les matins, il venait, et, tant dicté qu’écrit de ma main, tous les soirs, il emportait un tableau.

Après le tableau de la prison, Harel accourut. C’était un chef-d’œuvre qui devait faire pâlir le succès d’Henri III. Je ris.

Je devais absolument me nommer ; il était impossible que je ne me nommasse pas.

Je me fâchai. Harel s’en alla désespéré.

Les directeurs avaient alors une singulière idée dont ils sont bien revenus depuis : c’est qu’ils faisaient plus d’argent, à mérite égal, avec un nom connu qu’avec un nom inconnu. Je crois qu’ils se trompaient. Plus le nom est connu, plus il soulève de sentiments envieux de la part de la critique ; plus il est inconnu, plus la critique l’entoure de bienveillance. La critique, qui ne fait pas d’enfants, ne choie et ne caresse que les orphelins qu’elle peut adopter ; mais elle se détourne, irritée et grondeuse, de ceux qui se présentent portés sur les épaules d’un père vigoureux.

Aujourd’hui, les directeurs sont tombés dans l’abus contraire. On a cherché dans les recueils de proverbes toutes les pièces qui n’étaient pas des pièces, — toutes les comédies qui n’étaient pas des comédies, — tous les drames qui n’étaient