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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

des vers, de faire de la musique et de souper, comme j’allais reconduire mes amis, et que je les éclairais du haut de mon palier, je me sentis pris d’un léger tremblement dans les jambes ; je n’y fis point attention, je m’appuyai sur la rampe, moitié pour éclairer ceux qui descendaient, moitié pour me soutenir moi-même, et leur criai un sonore et franc Au revoir !

Puis, le bruit des pas s’étant éteint dans la cour, je me retournai pour rentrer.

— Oh ! monsieur, me dit Catherine, comme vous êtes pâle !

— Bah ! vraiment, Catherine ? fis-je en riant.

— Que monsieur se regarde dans une glace, et il verra.

Je suivis le conseil de Catherine, je me regardai dans une glace.

J’étais fort pâle, en effet.

En même temps, je me sentis pris d’un frisson qui, peu à peu, tournait au grelottement.

— C’est drôle, dis-je, j’ai froid.

— Ah ! monsieur, s’écria Catherine, c’est comme cela que ça commence.

— Quoi, Catherine ?

— Le choléra, monsieur.

— Vous croyez donc que j’ai le choléra, Catherine ?

— Oh ! pour sûr, monsieur… Ha !

— Alors, Catherine, ne perdons pas de temps : un morceau de sucre trempé dans l’éther, et le médecin !

Catherine sortit, se heurtant à tous les meubles, et criant :

— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! monsieur qui a le choléra !

Pendant ce temps, comme je sentais que les forces me manquaient rapidement, je m’approchai de mon lit, je me dévêtis aussi vite que possible, et je me couchai.

Je grelottais de plus en plus.

Catherine rentra ; la pauvre fille avait à peu près perdu la tête : au lieu de m’apporter un morceau de sucre trempé dans l’éther, elle m’apportait un verre à malaga plein d’éther.

Quand je dis plein, par bonheur la main lui avait tremblé, et le verre n’était plus qu’aux deux tiers.