Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
159
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Diable ! Et c’est sûr, ce que vous me dites là ?

— Un homme vient de mourir, rue Chauchat, monsieur. Il n’y a qu’un quart d’heure qu’il est mort, et il est déjà noir comme un nègre !

— Comment l’a-t-on traité ?

— Par les frictions, monsieur ; mais rien n’y a fait… Noir, monsieur ! tout noir !

— On l’aura peut-être frotté avec une brosse à cirage.

— Oh ! monsieur, pouvez-vous plaisanter !… Rue Chauchat, monsieur ! rue Chauchat !

En effet, la rue Chauchat est voisine de la rue Saint-Lazare. Qui empêchait le choléra, en sortant de la rue Chauchat, de passer par la rue Saint-Lazare, et, en passant par la rue Saint-Lazare, de frapper à ma porte ?

— Si le choléra sonne, n’ouvrez pas, Catherine ! repris-je ; je vais aller voir ce qui se passe.

Je pris mon chapeau, et sortis.

C’est alors que je vis se dérouler sous mes yeux le spectacle de terreur que j’ai essayé de peindre.

Je rentrai, assez mal disposé, je l’avoue, à faire de la comédie, et j’écrivis à mademoiselle Dupont :

« Ma belle Martine,

» Je présume qu’en arrêtant le jour de votre représentation, vous aviez compté sans le choléra.

» Il vient d’arriver de Londres, et a débuté, il y a deux heures, rue Chauchat.

» Son début fait un tel bruit, qu’il nuirait, j’en ai peur, à votre recette.

» Que dois-je faire à l’endroit de la comédie en un acte ?

» À vous, quand même.
» Alex. Dumas. »

On trouva mademoiselle Dupont chez elle, et, par le messager qui avait porté ma lettre, je reçus la réponse suivante :