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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

On fuyait dans les rues, on se pressait de rentrer chez soi, on criait : « Le choléra ! le choléra ! » comme, dix-sept ans auparavant, on criait : « Les Cosaques ! »

Mais, si bien qu’on fermât portes et fenêtres, le terrible démon de l’Asie se glissait par les gerçures des contrevents, par les serrures des portes.

Alors, on tenta de lutter contre lui.

La science s’avança et essaya de le prendre corps à corps. Il la toucha du bout du doigt, et la science fut terrassée.

Elle se releva étourdie, mais non vaincue : elle commença à étudier la maladie.

On mourait parfois en trois heures ; d’autres fois, il fallait moins de temps encore.

Le malade, ou plutôt le condamné, éprouvait tout à coup un léger frémissement : puis venait la première période du froid, puis les crampes, puis les selles effrayantes et sans fin ; puis la circulation s’arrêtait par l’épaississement du sang ; les capillaires s’injectaient ; le malade devenait noir et mourait.

Seulement, rien de tout cela n’était positif ; les périodes se suivaient, se précédaient, se mêlaient ; chaque tempérament apportait sa variété à la maladie.

Au reste, tout cela n’était que symptômes ; on mourait avec des symptômes, comme d’une maladie inconnue. Le cadavre était visible ; l’assassin invisible ! il frappait ; on voyait le coup ; on cherchait inutilement le poignard.

On médicamenta au hasard ; comme un homme surpris par un voleur dans la nuit frappe au hasard au milieu de l’obscurité, espérant atteindre ce voleur, la science espadonna dans les ténèbres.

En Russie, on traitait le choléra par la glace. Les attaques présentaient des symptômes typhoïdes.

On partit de ce point.

Les uns administrèrent des toniques, c’est-à-dire du punch, du vin chaud, du bordeaux, du madère.

Les autres, n’ayant en vue que les douleurs d’entrailles, traitèrent ces douleurs par les deux systèmes en présence à