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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avait besoin de toutes les promesses de l’ambition pour oublier ! Cette clef du tombeau de son amant la brûle comme un fer rouge. Elle s’approche de la fenêtre, demande si la rivière qui coule au-dessous du palais est bien profonde.

— C’est un gouffre qui engloutit tout ce qu’on y jette.

Édith détourne la tête, et, avec un cri étouffé, y laisse tomber la clef en disant :

Que pour l’éternité
L’abîme l’engloutisse, ou le courant l’entraîne !

le roi.

Que faites-vous, Édith ?

édith.

Moi ? Rien… Je me fais reine !

J’avais réfléchi deux ans au sujet, et j’avais travaillé quelque chose comme trois ou quatre mois au plan de ce bel ouvrage. J’en étais content en raison, non pas de son mérite, mais de la peine qu’il m’avait coûté : c’est-à-dire que je croyais avoir fait un chef d’œuvre.

Ainsi, pour la première fois de ma vie, — ce fut en même temps la dernière, — invitai-je deux ou trois amis à venir entendre la lecture que j’en devais faire au Théâtre-Français.

J’avais un splendide auditoire.

L’illusion dura jusqu’à la fin du premier acte ; mais, je dois le dire, elle n’alla pas plus loin.

À la fin du premier acte, je sentais déjà que mon chef-d’œuvre ne mordait pas sur le public.

Au second acte, ce fut plus froid encore.

Au troisième, c’était glacé !

Un des plus grands supplices qui soient imposés à un auteur, en expiation de ses pièces, c’est de lire devant un comité venu avec des intentions bienveillantes, et de sentir peu à peu ces intentions se faner, jaunir, tomber à la brise de l’ennui, comme tombent les feuilles d’automne aux brises mortelles de l’hiver.

Ah ! qu’on donnerait de choses ; dans un pareil moment,