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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

On ne pouvait faire qu’en vers un drame qui portait un titre si poétique.

Charles VII m’avait un peu familiarisé avec ce que l’on appelle encore aujourd’hui à l’Académie la langue des dieux.

Comment tout ce que j’entrevoyais, et dont l’étude était pour moi d’une absolue nécessité, comment tout cela tiendrait-il dans ma pauvre tête sans la faire éclater ?

Et remarquez bien que je n’entrevoyais encore que la première race.

Comment me débrouillerais-je au milieu de Charlemagne et de ses fils, représentant les intérêts et les types de la race franque ? Comment reconnaîtrais-je ces Eudes, ces Robert, rois nationaux, poussant et régnant sur cette terre conquise, dont ils vont être les Camille et les Pélage ?

C’était effrayant de ne rien savoir, à trente ans, de ce que les autres hommes savent à douze.

J’avais étudié le théâtre ; je le savais à être content de moi ; il me fallait étudier l’histoire comme le théâtre, et, derrière cette histoire, barrière placée sur mon chemin, qui me disait qu’il n’y aurait pas une nouvelle étude à faire, plus longue, plus sèche, plus ardue que les précédentes ?

L’étude du théâtre m’avait pris cinq ou six ans. Combien de temps allait me prendre l’étude de l’histoire ?

Hélas ! j’étudierais donc toute ma vie !

Et, si j’eusse étudié à l’âge des autres, je n’aurais donc plus rien à faire qu’à produire !

De mon drame, je n’avais encore que le titre.

Il va sans dire que je ne savais de la bataille d’Hastings que ce que j’en avais lu dans l’Ivanhoe de Walter Scott.

Aussi, je comptais faire, non pas un drame historique, mais quelque chose comme la Cymbeline de Shakspeare.

Sur ces entrefaites, je lus, par hasard, un roman d’Auguste Lafontaine ; — je voudrais bien vous dire lequel, mais je n’en sais plus rien ; — tout ce que je me rappelle, c’est que l’héroïne se nomme Jacobine.

On faisait prendre un narcotique à cette Jacobine, on l’endormait, on la faisait passer pour morte, et, grâce à cette