Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

J’avais cru jusque là Clovis et Charlemagne des ancêtres de Louis XIV ; mais voilà que, sous la plume d’Augustin Thierry, une espèce de géographie nouvelle se faisait, chaque race coulait isolément, suivait son véritable cours à travers les âgés : Gaulois, immenses comme un lac, — Romains, majestueux comme un fleuve, — Francs, terribles comme une inondation, — Huns, Burghunds, West-Goths, dévorants et rapides comme des torrents.

Quelque chose de pareil à ce qui s’était passé en moi chez le général Foy se manifesta de nouveau. Je vis que, pendant les neuf années qui venaient de s’écouler, je n’avais rien ou presque rien appris ; je me rappelai mes conversations avec Lassagne ; je compris qu’il y avait plus à voir dans le passé que dans l’avenir ; j’eus honte de mon ignorance, et je serrai presque convulsivement ma tête dans mes deux mains.

Pourquoi donc ceux qui savaient ne produisaient-ils pas ?

Oh ! c’est que j’ignorais, à cette époque, avec quelle paternelle bonté Dieu traite les hommes ; comment il fait des uns les mineurs qui tirent de la terre l’or et les diamants, des autres les orfèvres qui les cisellent et qui les montent.

J’ignorais que Dieu avait fait d’Augustin Thierry un mineur, et de moi un orfèvre.

Je restai sept ou huit jours hésitant devant l’énorme tâche qui me restait à accomplir ; puis, pendant cette halte, mon courage m’étant revenu, je me mis bravement à l’œuvre, oubliant tout pour cette étude de l’histoire.

Ce fut dans cette période que je fis Teresa et la pièce dont je vais parler.

Horace Vernet avait envoyé de Rome un grand tableau représentant Édith aux longs cheveux cherchant le corps d’Harold sur le champ de bataille d’Hastings.

C’était un tableau appartenant à la catégorie que Vernet appelle en riant sa grande peinture.

Le tableau m’avait singulièrement séduit, non pas à cause du sujet, mais à cause du nom de l’héroïne.

Il me prit fantaisie de faire un drame qui aurait nom Édith aux longs cheveux.