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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

à découper, à raconter et à dialoguer des scènes historiques tirées de l’Histoire des ducs de Bourgogne.

Elles étaient empruntées à l’une des époques les plus dramatiques de la France, au règne de Charles VI ; elles me donnaient la figure échevelée du roi fou, la poétique figure d’Odette, l’impérieuse et adultère figure d’Isabel de Bavière, l’insoucieuse figure de Louis d’Orléans, la terrible figure de Jean de Bourgogne, la pâle et poétique figure de Charles VII ; elles me donnaient l’Ile-Adam et son épée, Tanneguy-Duchatel et sa hache, le sire de Giac et son cheval, le chevalier de Bois-Bourdon et son pourpoint doré, Périnet-Leclerc et ses clefs.

Puis elles m’offraient l’avantage, à moi, déjà metteur en scène, de me donner un théâtre connu où faire mouvoir mes personnages, puisque les événements se passaient aux environs de Paris, et à Paris même.

Je commençai à composer mon livre, le poussant devant moi comme un laboureur fait de sa charrue, sans savoir précisément ce qu’il adviendrait. Il en advint Isabel de Bavière.

Au fur et à mesure que j’achevais ces scènes, je les portais à Buloz ; Buloz les portait à l’imprimerie, les imprimait, et, tous les quinze jours, les abonnés me lisaient.

Dès ce moment éclatèrent dans ces essais mes deux principales qualités, celles qui donneront dans l’avenir quelque valeur à mes livres et à mes pièces de théâtre : le dialogue, qui est le fait du drame ; le récit, qui est le fait du roman.

Ces qualités, — on sait avec quelle insouciante franchise je parle de moi, — ces qualités, je les ai à un degré supérieur.

À cette époque, je n’avais pas encore découvert en moi deux autres qualités non moins importantes, et qui dérivent l’une de l’autre : la gaieté, la verve amusante.

On est gai, parce que l’on se porte bien, parce qu’on a un bon estomac, parce qu’on n’a pas de motifs de chagrin. Cela, c’est la gaieté de tout le monde.

Nais, moi, j’ai la gaieté persistante, la gaieté qui se fait jour, non pas à travers la douleur, — toute, douleur me trouve, au contraire, ou compatissant pour les autres, ou