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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

à nous faire une réputation avec cette littérature, si facile qu’elle fût.

M. Buloz avait inventé, lui, la littérature ennuyeuse ; et, tant bien que mal, il s’est fait une fortune avec cette littérature, si ennuyeuse qu’elle soit.

Il va sans dire que, pour son compte, M. Buloz n’a jamais fait non-seulement une ligne de littérature facile, mais même une ligne de littérature ennuyeuse.

Ce n’est point que, quand M. Buloz s’avise d’écrire, il ne soit ennuyeux comme M. tel ou tel, et même davantage ; mais il ne suffit pas d’écrire pour faire de la littérature.

M. Nisard a difficilement, laborieusement, ennuyeusement expliqué un jour ce que c’était que la littérature facile. Nous tâcherons de dire, nous, et de dire d’une façon amusante, ce que c’est que la littérature ennuyeuse.

Il est vrai que nous pourrions mettre un renvoi ici, et dire « Voir M. Désiré Nisard ou M. Philarète Chasles ; » mais nous connaissons nos lecteurs, ils aimeraient mieux nous croire que d’y aller voir.

MM. Désiré Nisard et Philarète Chasles viendront à leur tour. Occupons-nous maintenant de M. Buloz.

M. Buloz, d’abord compositeur, puis prote dans une imprimerie, était, en 1830, un homme de trente-quatre ou trente-cinq ans, pâle de teint, avec une barbe rare, les yeux mal d’accord, les traits plutôt effacés que caractéristiques, les cheveux jaunâtres et clair-semés ; au moral, taciturne, presque sombre, mal disposé à répondre par une surdité naissante, maussade dans ses bons jours, brutal dans ses mauvais, en tout temps d’un entêtement coriace.

Je l’avais connu par Bixio et par Bocage. Tous deux, à cette époque, étaient liés avec lui. M. Buloz a été, depuis, pour eux ce qu’il est pour tout le monde, c’est-à-dire infidèle à une amitié quand il n’est point ingrat à un service. Je ne saurais dire comment il est aujourd’hui avec Bixio ; mais je crois pouvoir assurer qu’il est très-mal avec Bocage.

Nous n’étions pas riches à cette époque ; nous mangions dans un petit restaurant de la rue de Tournon, attenant à