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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

veraine de l’art, de fonder la monarchie universelle de l’intelligence. Si j’en veux, après trente ans, au roi Louis-Philippe, ce n’est pas de m’avoir supprimé mes gratifications parce que je m’occupais de littérature, ou d’avoir exigé ma démission, parce que j’avais un drame reçu au Théâtre Français ; c’est parce que ce prétendu roi citoyen avait une haine raisonnée contre les idées nouvelles, une répulsion instinctive pour tout mouvement qui tendait à faire faire un pas à l’espèce humaine. Or, comment voulez-vous que, moi, le mouvement, j’admette sans discussion, quelque part que je les rencontre, la mort ou l’immobilité, qui est le simulacre de la mort !

Or, en 1832, déjà je commençais à trouver que faire du théâtre, je ne dirai point ne m’occupait pas assez, mais m’occupait trop de la même occupation. J’avais, comme je l’ai dit, essayé d’écrire quelques petites nouvelles : Laurette, le Cocher de cabriolet, la Rose rouge. J’ai raconté que j’avais fait imprimer, sous le titre de Nouvelles contemporaines, ce volume à mes frais, ou plutôt aux frais de ma pauvre mère et qu’il s’en était vendu six exemplaires à trois francs ; ce qui me laissait à cinq cent quatre-vingt-deux francs au-dessous de mes frais.

Un des six exemplaires vendus, ou plutôt, probablement, un des trois ou quatre cents exemplaires donnés, était tombé entre les mains de M. le directeur de la Revue des Deux Mondes, et il avait jugé que, si faibles que fussent ces nouvelles, l’auteur qui les avait écrites pourrait, en travaillant, faire quelque chose.

Ce directeur se nommait M. Buloz. Sous le règne de Louis-Philippe, il était devenu une puissance dans l’État ; aujourd’hui encore, il est resté une puissance dans la littérature.

Il est bien entendu que ce n’est point par sa valeur littéraire personnelle que M. Buloz est une puissance ; c’est par la valeur littéraire des autres, employée à forte dose.

Nous avons inventé, Hugo, Balzac, Soulié, de Musset et moi, la littérature facile ; et nous avons, tant bien que mal, réussi