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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Eh bien, sire, Dumas a quinze jours de prison à faire comme garde national : ordonnez que Dumas fasse ses quinze jours de prison à Versailles.

Le roi tourna le dos à M. de Montalivet, et ne lui adressa pas la parole d’un mois.

Qu’en résulta-t-il ? Que Versailles devint de plus en plus triste, et, après avoir passé du mélancolique au sombre, passa du sombre au funèbre.

Quant à Saint-Germain, je ne sais ce qu’il est devenu ; mais on m’a assuré que, depuis mon départ, il avait été pris du spleen, et frisait tout simplement l’agonie.

Or, c’était la connaissance de cette qualité vivifiante qui attirait Doligny à Florence. Il se disait :

— Puisque Dumas est en Toscane, la Toscane doit être redevenue le département de l’Arno, et nous allons rire et gagner de l’argent.

Doligny se trompait : on rit peu par toute l’Italie ; mais l’on ne rit pas du tout en Toscane. Quant à y gagner de l’argent, je ne connais que le comte de Larderette qui y fasse fortune ; mais sa spéculation n’a rien de littéraire…

J’écoutai l’exposé des projets de Doligny avec une mélancolie dont la progression ne laissa pas que de l’inquiéter.

— Eh bien, me demanda-t-il, me suis-je trompé ?

— En quoi ?

— N’allez-vous pas à la cour ?

— Le moins que je puis ; mais j’y vais.

— Ne voyez-vous pas la société ?

— Le moins que je puis ; mais, enfin, je la vois.

— N’avez-vous pas d’amis ?

— Le moins que je puis ; mais j’en ai.

— Croyez-vous donc que mes acteurs soient mauvais ?

— Je ne les connais pas.

— Croyez-vous donc que la représentation de vos pièces ne piquera pas la curiosité ?

— Si fait.

— Ne croyez-vous pas, enfin, que, grâce à tout cela, je puisse faire de l’argent ?