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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Eh bien, c’était Doligny, qui, comédien et directeur, venait, avec une troupe française, chercher fortune en Italie.

Partout la fortune a trois cheveux : en Italie, elle n’en a qu’un ; partout elle tourne sur une seule roue : en Italie, elle tourne sur deux.

Ce qui veut dire qu’en Italie, plus que partout ailleurs, la fortune est, pour tout le monde, et particulièrement pour les directeurs d’entreprises littéraires, une Atalante difficile à rejoindre et à saisir aux cheveux.

Doligny courait donc de Turin à Milan, de Milan à Rome, de Rome à Naples, de Naples à Venise, de Venise à Bologne, dans l’espoir de rejoindre la fortune.

Il n’y avait pas encore réussi.

Enfin, il avait cru voir le spectre d’or prendre la route de Florence. Il s’était frappé le front, et s’était dit :

— Comment n’ai-je pas encore songé à cela ?

Ce à quoi il n’avait pas songé, c’est que j’étais à Florence.

J’emporte avec moi, — d’où cela vient-il ? je n’en sais rien ; mais, enfin, cela est, — j’emporte avec moi une atmosphère de vie et de mouvement qui est devenue proverbiale.

J’ai habité trois ans Saint-Germain ; eh bien, les habitants de Saint-Germain eux-mêmes, ces respectables sujets de la Belle au bois dormant, ne se reconnaissaient plus : j’avais communiqué à la ville un entrain que ses habitants avaient pris d’abord pour une espèce de fièvre endémique et contagieuse dans le genre de celle que produit la piqûre de l’araignée napolitaine. J’avais acheté le théâtre, et les meilleurs artistes de Paris, en venant souper chez moi, jouaient de temps en temps, avant de s’asseoir à table, afin de se mettre en appétit, soit Hamlet, soit Mademoiselle de Belle-Isle, soit les Demoiselles de Saint Cyr, au bénéfice des pauvres. Ravelet n’avait plus assez de chevaux ; Collinet n’avait plus assez de chambres, et le chemin de fer m’avoua, un jour, une augmentation de vingt mille francs de recettes par an depuis que j’étais à Saint-Germain.

Il est vrai qu’à l’époque des élections, Saint-Germain me