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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

y en avait une, au moins, qu’il ne devait mériter que seize ou dix-sept ans plus tard.

Je n’avais pas assisté à la première représentation ; je parvins à me placer à la seconde, mais avec beaucoup de peine.

Remarquez bien que c’est de l’Odéon que je parle.

Tout Paris eût défilé au parterre d’Harel, — car je crois qu’Harel avait encore l’Odéon à ce moment-là, — si la pièce ; n’eût point été arrêtée à la troisième représentation.

Et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que personne, ni directeur ni auteurs, ne comptait sur l’ouvrage, chose facile à voir à la façon dont il était monté. À part Lockroy et Provost, la pièce tout entière était distribuée à ce que l’on appelle, en termes de théâtre, la troupe de fer-blanc. Arsène jouait Chéréas, et Moëssard, Claude.

Dix-sept jours après, la Porte-Saint-Martin jouait une pièce qui devait faire un scandale d’un autre genre. La pièce avait pour titre : Dix Ans de la vie d’une femme, ou les Mauvais Conseils. Le rôle principal était joué par Dorval.

La pièce de Dix ans de la vie d’une femme — le premier manuscrit, du moins — était d’un jeune homme de trente ans à peu près, nommé Terrier. Harel, en la lisant, y avait vu un pendant au Joueur, et avait accolé Terrier à Scribe.

Il résulta de l’accolement une pièce à faire dresser les cheveux ! un drame qu’eussent à peine osé signer Mercier ou Rétif de la Bretonne !

Quelque chose comme dix-huit ans après, nous étions au conseil d’État, discutant, devant la commission formée pour préparer la loi sur les théâtres, la question de la censure dramatique et de la liberté théâtrale, et, à ce propos, j’entendais Scribe attaquer, plus violemment qu’il n’a l’habitude de le faire, la littérature immorale. Il demandait une censure qui fût un frein salutaire pour préserver le talent des excès de tout genre auxquels il se livre trop communément. Je me permis d’interrompre l’austère orateur et je lui adressai cette question en riant, d’un bout à l’autre de la salle :

— Dites donc, Scribe, est-ce à la littérature morale qu’appartient le drame intitulé Dix Ans de la vie d’une femme ?