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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tion pour toutes ces ravissantes créatures qui, pour la première fois, le voyaient, le touchaient, lui parlaient, de même lui revivait ses jeunes années, regardait de tous ses yeux, touchait de ses deux mains, et répondait avec les plus courtoises paroles de cour à toutes les galanteries que lui faisaient ces charmantes reines de tous les théâtres de Paris.

Vous rappelez-vous avoir été pendant toute une soirée les favorites de cet homme illustre, Léontine Fay, Louise Despréaux, Cornélie Falcon, Virginie Déjazet ? vous rappelez-vous votre étonnement en le trouvant simple et doux, coquet et galant, spirituel et respectueux, comme il avait été, quarante ans auparavant, aux bals de Versailles et de Trianon ?

Un instant, Beauchêne s’assit près de lui, et ce fut, comme rapprochement, un singulier contraste ; Beauchêne avait le costume vendéen dans toute sa pureté : le chapeau entouré d’un mouchoir, la veste bretonne, la culotte courte, les guêtres, le cœur sanglant sur la poitrine, et la carabine anglaise à la main.

Beauchêne, qui passait pour un royaliste trop libéral sous les Bourbons de la branche aînée, passait pour un libéral trop royaliste sous ceux de la branche cadette.

Aussi le général la Fayette, le reconnaissant, lui dit avec son charmant sourire :

— Monsieur de Beauchêne, dites-moi, je vous prie, en vertu de quel privilège vous êtes le seul qui ne soit pas déguisé ici ?

Un quart d’heure après, tous deux étaient à une table d’écarté, et Beauchêne jouait contre le républicain de 1789 et de 1830, avec de l’or à l’effigie d’Henri V.

Les salons, d’ailleurs, présentaient l’aspect le plus pittoresque.

Mademoiselle Mars, Joanny, Michelot, Menjaud, Firmin, mademoiselle Leverd étaient venus avec leurs costumes d’Henri III. C’était la cour des Valois tout entière. — Dupont, la soubrette effrontée de Molière, la soubrette joyeuse de Marivaux, était en bergère de Boucher. — Georges, qui avait retrouvé les plus beaux jours de sa plus grande beauté, avait pris le