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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

samment, en une minute il eut refait les ciels des deux tableaux : l’un calme, serein, tout d’azur ; laissant apercevoir les splendeurs du paradis de Dante à travers le bleu du firmament ; l’autre bas, nuageux, tout chargé d’électricité, et près de se déchirer sous la flamme d’un éclair.

Tous ces jeunes gens apprenaient en un instant les secrets de la décoration, qu’ils avaient, la veille, pour la plupart, cherchés en tâtonnant des heures entières.

Personne ne s’avisa de travailler le soir. D’ailleurs, grâce à la leçon donnée par le père Ciceri, les choses avançaient à pas de géant.

Il n’était pas plus question de Delacroix que s’il n’eût jamais existé.

Le soir du second jour, je lui envoyai demander s’il se rappelait que le bal était fixé au lendemain. Il me fit répondre d’être parfaitement tranquille, et que, le lendemain, il arriverait, à l’heure du déjeuner.

Le lendemain, on commença l’œuvre avec le jour. La plupart des travailleurs, au reste, en étaient aux trois quarts de leur besogne. Clément Boulanger et Barye avaient fini. Louis Boulanger n’avait plus que trois ou quatre heures de travail. Decamps donnait les dernières touches à son Debureau, et Jadin à ses coquelicots et à ses bluets ; Granville en était à ses dessus de porte, quand, ainsi qu’il l’avait promis, Delacroix arriva.

— Eh bien, où en sommes-nous ? demanda-t-il.

— Mais vous voyez, dit chaque travailleur en s’effaçant pour laisser voir son œuvre.

— Ah çà ! mais c’est de la miniature que vous faites là ! Il fallait me prévenir : je serais venu il y a un mois.

Et il fit le tour des quatre chambres, s’arrêtant devant chaque panneau, et trouvant le moyen, grâce au charmant esprit dont il est doué, de dire un mot agréable à chacun de ses confrères.

Puis, comme on allait déjeuner, il déjeuna.

Le déjeuner fini ;