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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

consolation pour Agénor et pour la duchesse de Grammont, de vous voir près d’eux dans un pareil moment.

» À vous de cœur,
» Cabarrus. »

Un autre jour, je vous raconterai d’Orsay tout entier, d’Orsay gentilhomme, d’Orsay fashionable, d’Orsay artiste, et surtout d’Orsay homme de cœur ; et je n’aurai certes pas assez d’un chapitre pour cela.

Aujourd’hui, bornons-nous à Tony Johannot, celui de ces quatre morts dont je raconte la vie avec lequel j’étais le plus lié.

Il était né en 1803, dans la petite ville d’Offenbach, comme son frère ; j’ai raconté l’histoire de ses parents et celle de sa jeunesse en racontant l’histoire d’Alfred.

À nos lecteurs il doit donc apparaître jeune homme, et dans le même cadre qu’Alfred ; c’est ainsi, du reste, que l’Artiste publia, en 1835 ou 1836, deux excellents portraits de ces jumeaux d’art et de génie.

Tony était charmant à cette époque, c’est-à-dire à l’âge de trente ou trente et un ans : teint blanc dont une femme eût envié la fraîcheur, cheveux courts et frisés, moustache noire, yeux petits mais vifs, spirituels, étincelants, taille moyenne mais, admirablement prise.

Comme Alfred il était silencieux ; toutefois, il n’était pas comme lui taciturne : sa mélancolie n’allait jamais jusqu’à la tristesse : ses paroles étaient rares, jamais il ne se lançait dans une longue période, mais ce qu’il disait était toujours fin d’aperçus, pétillant d’esprit.

Au reste, son talent le reflétait comme une glace, et quelqu’un qui ne l’eût point connu eût pu s’en faire une idée parfaitement exacte par ses dessins, ses vignettes, ses tableaux.

La première fois que je le vis, c’est, je m’en souviens, chez notre bon et cher Nodier. — Nodier aimait beaucoup les deux frères.

Tony apportait à Marie Nodier une charmante aquarelle que