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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ville s’approche, regarde, examine le procédé, jette un cri de joie : voilà ce qu’il lui faut.

Granville, comme Clément Boulanger, était un chercheur, toujours mécontent de ce que l’on avait trouvé pour lui, parfois de ce qu’il avait trouvé lui-même.

Callot avait substitué dans ses gravures le vernis des luthiers au vernis mou. Granville exécute, lui, ses lithographies à la manière des gravures : il tranche la pierre avec un crayon dur, ombre avec des hachures, précise ses formes, et ne dessine plus, mais grave ; c’est à cette époque que remontent cette suite de dessins représentant les Tribulations de la petite propriété, et la série des Dimanches d’un bon bourgeois.

Granville habitait, alors, à l’hôtel Saint-Phar, sur le boulevard Poissonnière, la chambre qu’habita depuis Alphonse Karr, cet autre artiste qui de sa plume, lui aussi, a fait un burin, et qui grave, au lieu d’écrire.

Vers 1826, Granville quitta l’hôtel Saint-Phar, et alla habiter cette espèce de mansarde située en face du palais des Beaux-Arts, où je l’ai connu. Hélas ! moi aussi, j’habitais une autre espèce de mansarde ; les vingt-cinq francs que, sur la supplication d’Oudard, M. de Broval venait d’ajouter à mon traitement ne me permettaient point d’habiter un premier étage de la rue de Rivoli ; seulement, ma mansarde enviait celle de Granville : un atelier d’artiste, si pauvre qu’il soit, a toujours quelque chose de plus qu’une chambre d’employé ; un croquis, une statuette, un plâtre, un vieux casque sans visière, quelques morceaux de cuirasse avec les traces de l’or qui la damasquinait, un écureuil empaillé qui joue de la flûte, un goéland suspendu au plafond, les ailes ouvertes, et qui semble encore raser la vague ; un lambeau d’étoffe chinoise drapé devant une porte, donnent aux murailles un air coquet qui réjouit l’œil, et sourit à l’esprit.

Puis l’atelier du peintre était un lieu de réunion et de causerie. Il y avait là, et dans les ateliers d’alentour, Philippon, qui devait fonder la Caricature et, plus tard, son frère le Journal pour rire ; Ricourt, l’obstiné faiseur de charges ; Ho-