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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Il fit une maladie pendant laquelle le spectre de cette femme morte le visita toutes les nuits, et lui révéla les dogmes de sa religion nouvelle. En proie à ces hallucinations de l’amour et de la fièvre, Gannot s’écoutait lui-même dans la voix qui lui parlait. Mais il n’était déjà plus Gannot ; il se transfigurait.


CXCIII


Le dieu et son sanctuaire. — Il notifie au pape sa déchéance. — Ses manifestes. — Son portrait. — Doctrine de l’évadisme. — Emblèmes de cette religion. — Chaudesaigues me conduit chez le Mapah. — Iswara et Pracriti. — Questions qui manquent d’actualité. — Guerre entre les sectateurs du bidja et les partisans du sakti. — Ma dernière entrevue avec le Mapah.

En 1840, dans cette vieille île Saint-Louis, que fouettent les vents aigres et colères du nord et de l’ouest, sur le quai le plus froid de cette froide Thulé, — terrarum ultima Thule, — à un rez-de-chaussée obscur et livide, dans une chambre nue, un homme pétrissait et moulait du plâtre.

Cet homme, c’était l’ancien Gannot.

La chambre était à la fois un atelier et une école ; on venait y prendre des leçons de moulage ; et y consulter le Mapah. C’était, nous l’avons déjà dit, le nom sous lequel Gannot présidait à sa nouvelle existence.

De cette chambre partit le premier manifeste par lequel celui qui avait été Gannot révélait au monde sa mission. — Qui dut être étonné ? Ce fut certes le pape Grégoire XVI, lorsqu’il reçut un jour, sur son trône souverain, un écrit daté de notre grabat apostolique, dans lequel on lui annonçait qu’il avait fait son temps ; qu’à partir de ce jour, il eût à se regarder comme déchu, et qu’enfin il était remplacé.

Ce devoir de politesse rempli envers son prédécesseur, Gannot annonça purement et simplement à ses amis qu’ils eussent à le considérer comme le dieu de l’avenir.

Depuis deux ou trois, ans, Gannot faisait école ; de cette