Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
309
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

» J’ai été sacrifié à la pudeur, à la pudeur des vierges du parterre ; car, aller supposer que j’ai pu devenir victime de la cabale, ce serait une bien vieille et bien gratuite fatuité. Contre moi, quelques lâches rancunes ? Et d’où viendraient-elles ? Je n’ai que des amitiés vives et des antipathies candides. À qui professe ingénument le mépris d’un gouvernement indigne de la France, pourquoi des ennemis politiques ? Et pourquoi dès ennemis littéraires à l’auteur d’un article oublié sur la Camaraderie, et au plus paresseux des rédacteurs d’un bénin journal qu’on appelle Figaro ?

» Mais je n’ai pas voulu tomber obstinément comme tant d’autres après vingt soirées de luttes, entre des enrouements factices, des sifflets honnêtes et des applaudissements à poings fermés. Imposer son drame au public, comme autrefois les catholiques leur rude croyance aux Albigeois ; chercher l’affirmation d’un mérite dans deux négations du parterre ; calculer combien il faut d’avanies pour se composer un succès, c’est là un de ces courages que je ne veux pas avoir. Il appartenait, d’ailleurs, à la reine d’Espagne de se retirer chastement du théâtre ; c’est une noble princesse, c’est une épouse vierge, élevée dans les susceptibilités du point d’honneur de la France.

» Quelques-uns aiment mieux sortir par la fenêtre que trébucher dans les escaliers ; à qui prend étourdiment le premier parti, il peut être donné encore de rencontrer le gazon sous ses pas ; mais, pour l’autre, et sans compter la multiplicité des meurtrissures, il expose votre robe de poëte à balayer les traces du passant.

» Cependant, au fond d’une chute éclatante, il y a deux sentiments d’amertume que je ne prétends point dissimuler ; mais je ne conseille à personne autre que moi de les conseiller : le premier est la joie de quelques bonnes âmes, et le second, le désenchantement des travaux commencés. Ce n’est pas l’ouvrage attaqué qu’on regrette, mais l’espérance ou l’illusion de l’avenir. Rentré dans sa solitude, ces pensées qui composaient la famille du poëte, il les retrouve en deuil et comme éplorées de la perte d’une sœur, car vous vous