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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

arts, de l’histoire ancienne ; mais de son affaire, du but de son voyage, pas un mot. Le pape n’avait point commission pour cela : cette question se traitait quelque part dans l’ombre, entre des cardinaux nommés pour en connaître, et dont on ne savait point les noms. Un mémoire avait été adressé à la cour de Rome par les rédacteurs de l’Avenir ; ce mémoire devait amener une décision autour de laquelle régnait le mystère le plus impénétrable. Le pape, d’ailleurs, se montra bienveillant pour le prêtre français dont le génie honorait l’Église catholique.

— Quelle est, parmi les œuvres d’art, demanda-t-il à M. de Lamennais, celle qui vous a le plus frappé ?

— Le Moïse de Michel-Ange, répondit le prêtre.

— Eh bien, lui dit Grégoire XVI, je vais vous montrer une chose que personne ne voit, ou plutôt que bien peu d’élus voient à Rome.

Et, en disant ces mots, le grand vieillard blanc entra dans une sorte d’alcôve fermée par des rideaux, et revint soutenant dans ses bras une réduction en argent du Moïse faite par Michel-Ange lui-même. L’abbé de Lamennais admira, salua et se retira accompagné par les deux cardinaux qui gardaient l’entrée de cette chambre.

Il fut forcé de rendre hommage à la gracieuse réception du saint-père ; mais, en conscience, il n’était pas venu de Paris à Rome pour voir la statuette de Moïse !

Ce fut un désenchantement infini. L’abbé de Lamennais secoua sur Rome la poussière de ses sandales, une poussière de tombe, et s’en revint à Paris.

Après un long silence, au moment où l’affaire de l’Avenir semblait ensevelie dans les hypogées du saint-siège, Rome parla : elle condamnait les doctrines des hommes qui avaient essayé de rallier le christianisme à la liberté.

La douleur de l’abbé de Lamennais fut immense. Le pasteur étant frappé, les brebis se dispersèrent ; à peine la nouvelle d’une censure arrivait-elle à la Chesnaie, que les disciples furent saisis de frayeur, et prirent la fuite. M. de Lamennais resta seul dans le vieux château abandonné, seul