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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

valable, il faut que la délibération soit deux fois libre : libre en réalité, et libre en apparence.

Toutes ces voix affamées, toutes ces poitrines sans haleine, retrouvèrent de la force pour crier :

— Vive le préfet !

Puis, humblement, sans plaintes, sans observations, ils se retirèrent.

Le tarif fut signé.

Il en résultait une augmentation de vingt-cinq pour cent — pas tout à fait cinq sous par jour. Mais cinq sous par jour, c’était la vie de deux enfants.

Aussi ce fut une grande joie dans toute cette pauvre multitude : les ouvriers illuminèrent leurs fenêtres, et, bien avant dans la nuit, ils chantèrent et dansèrent entre eux.

Cette joie était bien innocente.

Les fabricants crurent que ces chants étaient des chants de triomphe, et ces danses des carmagnoles présageant un second 93.

C’était un acheminement pour arriver à refuser le tarif.

Huit jours ne s’étaient pas écoulés, que l’on comptait déjà dix ou douze refus.

Le conseil des prud’hommes condamna ceux qui avaient refusé.

Les fabricants se réunirent et décidèrent qu’au lieu de refus partiels, on ferait une protestation en masse. Cent quatre fabricants protestèrent, en effet, déclarant qu’ils ne se croyaient pas obligés de venir en aide à des hommes qui s’étaient créé des besoins factices.

Des besoins factices, avec dix-huit sous par jour ! quels sybarites !

Devant cette protestation, le préfet, cœur bon, mais esprit irrésolu, recula.

Les prud’hommes, voyant reculer le préfet, reculèrent eux-mêmes.

Prud’hommes et préfet déclarèrent que le tarif n’était point obligatoire, et que ceux des fabricants qui voulaient se soustraire à l’augmentation imposée en avaient le droit.