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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Quant à Bocage, il était véritablement superbe de haine, d’orgueil et de dédain, lorsque, n’y pouvant plus tenir, et laissant échapper le secret qui, jusque-là, comme le renard du jeune Spartiate, lui rongeait les entrailles, il s’écriait :

Marie… ou Marion ?
— Didier, soyez clément !
— Madame, on n’entre pas ici facilement ;
Les bastilles d’État sont nuit et jour gardées ;
Les portes sont de fer, les murs ont vingt coudées !
Pour que devant vos pas la porte s’ouvre ainsi,
À qui vous êtes-vous prostituée ici ?
— Didier, qui vous a dit ?
— Personne… Je devine J
— Didier, j’en jure ici par la bonté divine,
C’était pour vous sauver, vous arracher d’ici,
Pour fléchir les bourreaux, pour vous sauver…
— Merci !
Ah ! qu’on soit jusque-là sans pudeur et sans âme,
C’est véritablement une honte, madame !
Où donc est le marchand d’opprobre et de mépris
Qui se fait acheter ma tête à de tels prix ?
Où donc est le geôlier, le juge ? où donc est l’homme ?
Que je le broie ici ! que je l’écrase… comme
Ceci !

(Il brise le portrait de Marion.)

Le juge ! Allez, messieurs, faites des lois,
Et jugez ! Que m’importe, à moi, que le faux poids
Qui fait toujours pencher votre balance infâme
Soit la tête d’un homme ou l’honneur d’une femme !

Je défie qu’on me trouve quelque chose de plus énergique et de plus douloureux dans aucune langue qui ait été écrite depuis le jour où la bouche de l’homme a proféré son premier cri, jeté sa première plainte.

Enfin, Didier pardonne à Marion d’être Marion, et un instant, la courtisane rachetée redevient amante. C’est alors