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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Ah ! ça, il était temps. Figurez-vous qu’il était déjà cramoisi.

— Que lui avez-vous fait ?

— Je lui ai dit : « Prenez patience, et attendez-moi. »

— Ce n’est pas facile de prendre patience, quand on s’étrangle.

— Dame ! que voulez-vous ! ce n’était pas ma faute… Alors, j’ai couru le plus vite que j’ai pu au jardin ; j’ai arraché un poireau, je l’ai lavé, j’en ai coupé la barbe, et je lui ai fourré le poireau jusqu’au fond du gosier… C’est souverain pour les arêtes !

— En effet, je le crois.

— Aussi, il ne parle jamais de moi que les larmes aux yeux.

— D’autant plus que le poireau est de la famille des oignons… C’est égal, ça me contrarie.

— Qu’est-ce qui vous contrarie ? qu’il ne se soit pas étranglé, ce pauvre cher homme ?

— Non pas non pas ! j’en suis enchanté, et je vous remercie en son nom et au mien c’est un de mes amis et, de plus, un homme d’un grand talent… Mais je suis contrarié que Trouville ait été découvert par trois peintres avant de l’être par un poëte.

— Vous êtes donc poëte, vous ?

— Dame ! je n’ose pas trop dire que oui.

— Qu’est-ce que c’est que ça, un poëte ? Ça a-t-il des rentes ?

— Non…

— Eh bien, alors, c’est un mauvais état.

— Je vis que j’avais donné à la mère Oseraie une assez pauvre idée de moi.

— Voulez-vous que je vous paye une quinzaine d’avance ?

— Pour quoi faire ?

— Dame ! si vous avez peur qu’en ma qualité de poëte, je ne m’en aille sans vous payer !

— Si vous vous en allez sans me payer, ça sera tant pis pour vous, et non pas pour moi.