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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Valois égaré parmi les Bourbons, maigre, douloureuse et maladive figure, placée de profil entre Henri IV et Louis XIV, qui l’étouffent, l’un de sa bonté, l’autre de sa grandeur ; — ce Louis XIII me promettait une curieuse figure royale à modeler, à moi qui avais, déjà jeté Henri III à la fonte, et qui devais plus tard y jeter Charles IX.

Mais, comme je l’ai dit, j’y avais renoncé. De Vigny, qui ne connaissait point Paul Lacroix, ou qui le connaissait à peine, n’avait pas le même motif d’abstention, et il avait, sur ce sujet, fait recevoir à l’Odéon un drame en cinq actes en prose. C’était encore une bataille à livrer.

De Vigny, à cette époque, comme aujourd’hui même encore, je crois, appartenait au parti royaliste. Il y avait donc à combattre pour lui deux choses : les ennemis que lui faisait son opinion, et ceux que lui faisait son talent, — talent froid, sobre, charmant, plus rêveur qu’actif, plus spirituel qu’ardent, plus nerveux que fort.

La pièce était admirablement montée. Mademoiselle Georges jouait la maréchale d’Ancre ; Frédérick, Concini ; Ligier, Borgia ; Noblet, Isabelle.

Notre différence d’envisager le drame, entre de Vigny et moi, éclate dans cette seule nomenclature d’acteurs. On y cherche vainement Louis XIII. — J’en eusse fait mon personnage principal.

Au reste, l’absence de Louis XIII dans le drame de de Vigny tient peut-être plus à une opinion politique qu’à une combinaison littéraire. L’auteur, royaliste, comme je l’ai dit, aura mieux aimé laisser la royauté dans la coulisse que de montrer au public sa face pâle et tachée de sang.

La Maréchale d’Ancre est plutôt un roman qu’une pièce de théâtre ; l’intrigue est trop compliquée dans les coins, si l’on peut dire cela, et trop simple dans le milieu. La maréchale tombe sans lutte, sans péripétie, sans se retenir à rien : elle glisse, et elle est à terre ; du moment où elle est arrêtée, elle est morte.

Quant à Concini, comme l’auteur en était fort embarrassé durant tout cela, il lui a fait passer dix heures chez un juif,