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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pas ; au dessert, je levai ce couteau en disant : À Louis-Philippe… s’il trahit ! Ces derniers mots n’ont été entendus que de mes voisins, attendu les sifflets féroces qu’avait soulevés la première partie de ma phrase, et l’idée que je pouvais porter un toast à cet homme.
D. — Dans votre opinion, un toast porté à la santé du roi était donc proscrit dans cette réunion ?
R. — Pardieu !
D. — Un toast porté purement et simplement à Louis-Philippe, roi des Français, eût alors excité l’animadversion de l’assemblée ?
R. — Assurément.
D. — Votre intention était donc de dévouer le roi Louis-Philippe au poignard ?
R. — Dans le cas où il trahirait, oui, monsieur.
D. — Était-ce, de votre part, la manifestation d’un sentiment qui vous fût personnel, de présenter le roi des Français comme digne de recevoir un coup de poignard, ou bien était-ce votre intention de provoquer les autres à une pareille action ?
R. — Je voulais provoquer à une pareille action dans le cas où Louis-Philippe trahirait, c’est-à-dire dans le cas où il oserait sortir de la légalité.
D. — Comment supposez-vous cet abandon de la légalité de la part du roi ?
R. — Tout engage à croire qu’il ne tardera pas à se rendre coupable de ce crime, si ce n’est déjà fait.
D. — Expliquez votre pensée.
R. — Je la croyais claire.
D. — N’importe ! expliquez-la.
R. — Eh bien, je dirai que la marche du gouvernement peut faire supposer que Louis-Philippe trahira un jour, s’il n’a déjà trahi.

On comprend qu’avec une pareille lucidité dans les demandes et dans les réponses, les débats devaient être courts.

Les jurés se retirèrent dans la salle des délibérations, et