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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avec moi. M. Jouslin de la Salle me trouva même dans le cabinet de M. Thiers. Ce dernier indiqua les clauses du traité, et chargea M. Jouslin de les mettre par écrit. Conformément aux conventions ainsi arrêtées, Antony fut mis en répétition, et annoncé sur l’affiche.

» Mais, dans cet ouvrage, usant de mon droit d’auteur, j’avais raillé le Constitutionnel et ses doctrines surannées. Le Constitutionnel, qui, avant 1830, était une sorte de puissance, s’offensa des plaisanteries d’un jeune auteur dramatique, et, dans son courroux, il fulmina un article où il prétendait démontrer qu’Antony était une production immorale, et qu’il était scandaleux d’en permettre la représentation sur le premier théâtre national. La colère du journal n’eût peut-être pas exercé une grande influence sur le ministre de l’intérieur ; mais, à cette époque, MM. Jay et Étienne se trouvaient être les rapporteurs du budget des théâtres. Ces honorables députés, dont la collaboration au Constitutionnel est parfaitement connue, s’imaginèrent que les épigrammes d’Antony les atteignaient personnellement ; dans cette persuasion, ils déclarèrent au ministre qu’ils feraient rejeter le budget théâtral si la pièce satirique n’était pas interdite au Théâtre-Français.

» Antony devait être joué le jour même où ces menaces étaient adressées à M. Thiers. Le ministre envoya à quatre heures du soir, à M. Jouslin de la Salle, l’ordre d’arrêter la représentation. Je fus informé de cette défense quelques heures plus tard. Je reconnais que M. Jouslin de la Salle a agi en bon camarade, et qu’il a fait tout ce qui dépendait de lui pour jouer ma pièce. Le tort ne vient que du ministre, qui a mis Antony à l’index, sans le connaître, ainsi qu’il l’a dit lui-même à la tribune. Cette interdiction ministérielle a été fatale à mes intérêts, car les préfets des départements s’évertuent, à l’instar de leur maître, à frapper ma pièce de prohibition.

» Il n’est plus permis de me jouer même à Valenciennes. M. Jouslin de la Salle m’a offert de me faire représenter telle autre pièce que je voudrais choisir à la place d’Antony ; mais ce ne serait pas là exécuter ce qui a été convenu : d’ailleurs, je tiens à la représentation d’Antony, qui est mon ouvrage