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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

mal à la comédie, il a quelque talent pour la farce ; et, quoiqu’il n’ait ni les rencontres de Gauthier-Garguille, ni les impromptus de Turlupin, ni la bravoure du Capitan, ni la naïveté de Jodelet, ni la panse de Gros-Guillaume, ni la science du Docteur, il ne laisse pas de plaire quelquefois et de divertir en son genre. Il parle passablement français ; il traduit assez bien l’italien, et copie pas mal les auteurs ; mais il ne se pique pas d’avoir le don de l’invention ni le génie de la poésie. Ce qui fait rire en sa bouche fait souvent pitié sur le papier, et l’on peut dire que ses comédies ressemblent à ces femmes qui font peur en déshabillé, et qui ne laissent pas de plaire quand elles sont ajustées, ou à ces petites tailles qui, ayant quitté leurs patins, ne sont plus qu’une partie d’elles-mêmes. Toutefois, on ne peut dénier que Molière ait bien du bonheur ou bien de l’adresse de débiter avec tant de succès sa fausse monnaie, et de duper tout Paris avec de mauvaises pièces. Voilà, en peu de mots, ce que l’on peut dire de plus obligeant et de plus avantageux pour Molière.
» Si cet auteur n’eût joué que les précieuses, et s’il n’en eût voulu qu’aux pourpoints et aux grands canons, il ne mériterait pas une censure publique et ne se serait pas attiré l’indignation de toutes les personnes de piété. Mais qui peut supporter la hardiesse d’un farceur qui fait plaisanterie de la religion, qui tient une école de libertinage, et qui rend la majesté de Dieu le jouet d’un maître et d’un valet de théâtre ? Ce serait trahir visiblement la cause du ciel dans une occasion où sa gloire est ouvertement attaquée, où la foi est exposée aux insultes d’un bouffon qui fait commerce de ses mystères, et en profane la sainteté ; qui foudroie et renverse tous les fondements de la religion à la face du Louvre, dans la maison d’un prince chrétien, à la vue de tant de sages magistrats si zélés pour la cause de Dieu, en dérision de tant de bons pasteurs que l’on fait passer pour des Tartufes ! Et c’est sous le règne du plus grand, du plus religieux monarque du monde, pendant que ce généreux prince occupe tous ses soins à maintenir la religion, que Molière travaille à la détruire ! Le roi abat le temple de l’hérésie, et Molière élève des autels