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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

THÉÂTRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN — Première représentation d’Antony,
drame en cinq actes, de M. Alexandre Dumas.

« Dans un siècle et dans un pays où la bâtardise serait une flétrissure imprimée par la loi, sanctionnée par les mœurs, une véritable damnation sociale contre laquelle un homme, d’ailleurs riche de talent, d’honneur et de fortune, lutterait vainement, on s’expliquerait sans peine le but moral du drame d’Antony ; mais, à présent qu’en France tous les préjugés de naissance sont vaincus, aussi bien ceux de la naissance roturière que ceux de la naissance naturelle, pourquoi ce fougueux plaidoyer, auquel manquent nécessairement la contradiction et la réplique ? Le but moral n’existant pas dans Antony, que reste-t-il à cet ouvrage ? La peinture frénétique d’une passion adultère, qui risque tout pour s’assouvir, qui joue avec les dangers, qui joue avec le poignard, qui joue avec la mort ? »

Suit l’analyse peu bienveillante de la pièce, puis le critique reprend :

« Un telle conception ne supporte pas plus l’examen du bon sens qu’un crime déféré à la cour d’assises ne soutient le coup d’œil du jury. L’auteur, en se plaçant dans la sphère exceptionnelle des passions délirantes, des passions cruelles qui ne marchandent ni les larmes ni le sang, s’est soustrait à toute juridiction littéraire ; sa pièce est un monstre dont, il faut le dire avec justice, quelques parties sont empreintes à un degré peu commun de vigueur, de grâce et de beauté. Bocage, et madame Dorval se distinguèrent par le talent et l’énergie avec lesquels ils remplirent les deux rôles principaux d’Antony et d’Adèle. »

Je pourrais suivre votre critique d’un bout à l’autre, cher monsieur Lesur ; mais je veux répondre seulement aux quelques lignes que j’ai soulignées, qui ont rapport à la bâtardise, et par lesquelles débute votre article.