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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

qu’il était chargé de représenter, jusqu’aux défauts physiques que nous avons signalés chez lui.

Madame Dorval avait tiré un parti énorme du rôle d’Adèle. Elle jetait les mots avec une admirable justesse. Tous ses effets étaient indiqués, excepté un seul qu’elle n’avait point encore trouvé.

« Mais je suis perdue, moi ! » devait-elle s’écrier en apprenant l’arrivée de son mari. Eh bien, elle ne savait pas comment dire ces cinq mots : « Mais je suis perdue, moi ! » Et, cependant, elle sentait que, dits avec vérité, ils renfermaient un grand effet.

Tout à coup, une illumination lui passa dans l’esprit.

— Es-tu là, mon auteur ? demanda-t-elle en s’approchant de la rampe pour regarder à l’orchestre.

— Oui… Qu’y a-t-il ? répondis-je.

— Comment mademoiselle Mars disait-elle : « Mais je suis perdue, moi ? »

— Elle était assise, et se levait.

— Bon ! reprit Dorval en retournant à sa place, je serai debout, et je m’assiérai.

La répétition s’acheva. Alfred de Vigny était présent, et me donna quelques bons conseils. J’avais fait d’Antony un athée, il me fit effacer cette nuance du rôle.

Alfred de Vigny me promit un grand succès. Nous nous quittâmes, lui persistant dans son opinion, moi secouant la tête en signe de doute.

Bocage m’emmena dans sa loge pour me montrer son costume. Je dis costume, car, quoique Antony fut vêtu, comme le commun des mortels, d’une cravate, d’un gilet et d’un pantalon, il devait y avoir, vu l’excentricité du personnage, quelque chose de particulier dans la mise de la cravate, dans la forme du gilet, dans la coupe de l’habit, et dans la taille du pantalon. J’avais, d’ailleurs, donné là-dessus mes idées à Bocage, qui les avait parfaitement utilisées, et, en le voyant revêtu de ces habits, on devait comprendre, dès le premier abord, que l’acteur ne représentait pas un homme ordinaire.

Il était convenu que la pièce passerait définitivement le