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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Godefroy Cavaignac était orateur, plus orateur que son frère, quoique celui-ci ait eu, comme le général Lamarque et le général Foy, de ces mots éminemment français qui entrent plus profondément dans les cœurs que les plus beaux discours. Cavaignac continua donc avec un succès croissant. Enfin, il résuma dans ces quelques mots toutes ses opinions, toutes ses espérances, ainsi que les opinions et les espérances du parti qui, presque inaperçu alors, devait triompher dix-sept ans plus tard :

— La Révolution ! messieurs, vous attaquez la Révolution ! Mais, insensés que vous êtes, la Révolution, c’est la nation tout entière, moins ceux qui l’exploitent ; c’est notre patrie remplissant cette sainte mission de l’affranchissement des peuples qui lui a été confiée par la Providence ; c’est toute la France, enfin, faisant son devoir envers le monde ! Quant à nous, nous avons, c’est notre conviction, fait notre devoir envers la France, et, chaque fois qu’elle aura besoin de nous, quoi qu’elle nous demande, cette mère respectée, fils pieux, nous lui obéirons !

Il est impossible de se faire une idée de l’effet que produisit ce discours, prononcé d’un accent ferme, avec une figure franche et ouverte, avec l’enthousiasme dans les yeux, la conviction dans le cœur.

À partir de ce moment, la cause était gagnée : la condamnation de pareils hommes eût été une émeute, une révolution peut-être.

Les questions posées au jury étaient au nombre de quarante-six.

À midi moins un quart, les jurés entrèrent dans la chambre des délibérations ; à trois heures et demie, ils en sortirent. Sur les quarante-six questions, les accusés étaient déclarés non coupables.

Il n’y eut qu’un cri de joie, presque d’enthousiasme ; les mains battaient, les chapeaux s’agitaient ; chacun se hâtait, enjambant les banquettes, renversant les obstacles ; on voulait serrer la main de l’un ou de l’autre des dix-neuf accusés, qu’on les connût ou qu’on ne les connût pas.