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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

s’il n’est point administré selon des doctrines qui conviennent à des imaginations peut-être déréglées ? Mais l’ardeur de la jeunesse suffirait-elle pour légitimer des essais qui alarment tous les bons citoyens et froissent tous les intérêts ? Faut-il donc que les hommes paisibles puissent devenir les victimes des manœuvres coupables de ceux qui parleraient de liberté en attaquant celle d’autrui, et qui se vanteraient de travailler au bonheur de la France en brisant avec violence tous les liens sociaux ?

On comprend de quel air dédaigneux les prévenus recevaient ces filandreuses et banales observations. Loin qu’ils songeassent à se défendre, on sentait que, le moment venu de charger, c’étaient eux qui allaient prendre l’offensive.

Pescheux d’Herbinville, le premier, s’élançant à toute bride, sabra juges et procureur général.

— Monsieur Pescheux d’Herbinville, lui dit le président Hardouin ; vous êtes accusé d’avoir eu des armes à votre disposition, et d’en avoir distribué. Avouez-vous le fait ?

Pescheux d’Herbinville se leva.

C’était, un beau jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans, blond, soigné de sa personne, délicat dans ses manières. Les cartouches qu’on avait saisies chez lui étaient enveloppées de papier de soie, et enjolivées de faveurs roses.

— Non-seulement, dit-il, j’avoue le fait, monsieur le président, mais encore je m’en vante… Oui, j’ai eu des armes, et beaucoup ! et je vais vous dire comment je les ai eues. En juillet, j’ai, à la tête d’une quinzaine d’hommes, au milieu du feu, pris successivement trois postes ; les armes que j’ai eues, ce sont celles des soldats que j’ai désarmés. Or, moi, je me battais pour le peuple, et ces soldats tiraient sur le peuple. Suis-je coupable d’avoir pris des armes qui, dans les mains où elles se trouvaient, donnaient la mort à des citoyens ?

Une salve d’applaudissements accueillit ces paroles.

— Quant à les avoir distribuées, continua l’accusé, c’est encore vrai, je l’ai fait ; et non-seulement j’ai distribué des armes, mais encore, croyant que, dans des temps pareils au nôtre, il était bon de reconnaître les amis de la France de ses