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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Seulement, il n’était guère probable que j’eusse bien entendu.

Cependant mon nom retentit une seconde fois et plus distinctement que la première.

Qui diable pouvait me connaître dans le département de Maine-et-Loire, entre Chemillé et Chollet ?

Je tournai là tête de mon cheval du côté d’où venait la voix, et vis bientôt apparaître, à l’angle du chemin de Nuaillé, un homme courant à perdre haleine, et me faisant signe avec son chapeau que c’était moi qu’il appelait.

Il n’y avait plus de doute sur le désir de cet homme de me rejoindre ; mais que pouvait-il me vouloir ?

À mesure qu’il avançait, je distinguais son costume : c’était celui d’un paysan.

J’attendis plus que jamais.

Enfin, il me joignit, se jeta à ma botte et se mit à me baiser les genoux.

Mais, quant à la parole, il n’en était plus question. Je crois que, s’il eût eu seulement cinquante pas de plus à faire, comme le Grec de Marathon, il fût tombé mort en arrivant.

Enfin, la respiration lui revint.

— Vous ne me connaissez pas, me dit-il ; mais, moi, je vous connais : vous êtes M. Alexandre Dumas, et vous m’avez sauvé des galères !

Et il se laissa glisser à genoux, en me remerciant au nom de sa femme et de ses enfants.

Je sautai à terre, je le pris dans mes bras, et je l’embrassai.

Au bout de quelques instants, il se calma.

— Ah ! monsieur, me dit-il, quelle imprudence ! et quel bonheur que j’aie été mis en liberté à temps !

— Comment cela ?

— Qui a donc pu vous donner le conseil de voyager en Vendée avec un pareil uniforme ?