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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avait pris le milieu de la chaussée, essayant, mais inutilement, de faire entendre sa voix à travers le tohu-bohu.

Les balles pleuvaient autour de lui sans qu’il parût s’en plus préoccuper que si c’eût été une grêle ordinaire.

Un jour, je lui rappelais cette circonstance, et le complimentais sur son sang-froid et son courage.

— Pardieu ! dit-il, voilà un beau mérite pour un vieux soldat qui a vu tous les tremblements de terre de l’Empire, de ne pas se préoccuper d’une chiquenaude donnée contre un mur !

L’orage se calma pour lui comme il s’était calmé pour nous.

Seulement, tout le monde n’était pas aussi disposé que nous à la retraite : une partie de l’armée expéditionnaire ne voulut pas être venue pour rien à Cognières, et résolut de pousser jusqu’à Rambouillet.

Pajol ne vit point partir ces fanatiques sans une certaine terreur ; il mit à leur tête Charras et Degousée ; mais bientôt les deux chefs reconnurent l’impossibilité de maintenir ce flot humain, et se laissèrent entraîner par lui.

Il les poussa jusque dans les cours du château de Rambouillet, où le maire de la ville leur indiqua tout bas et en cachette un fourgon dont il venait de remettre les clefs au maréchal Maison.

Ce fourgon contenait les diamants de la couronne, estimés à quatre-vingts millions.

— Bien, dit Charras, il faut les confier au peuple ; c’est le seul moyen qu’il ne leur arrive pas malheur.

On confectionna un petit drapeau tricolore sur lequel on écrivit en lettres noires : Diamants de la couronne ; on planta le drapeau sur le fourgon, et tout fut dit.

Puis on fit proclamer que ceux qui voudraient revenir en accompagnant et en gardant les diamants de la couronne reviendraient dans les voitures du roi.

C’était un moyen qu’avait trouvé Degousée pour qu’on ne fit point du feu de ces voitures.

Mais une partie des volontaires préféra se donner le plaisir