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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Allez-y donc, alors… Bien entendu que, si vous rencontrez le pain en route, vous reviendrez avec lui.

— Pardieu !

Et Charras courut aux écuries, sella son cheval, et partit au grand trot.

En arrivant à la hauteur de Trappes, il fut arrêté par un poste d’arrière-garde qui barrait la route.

— Qui vive ? cria la sentinelle.

— Ami :

— Ce n’est pas assez.

— Comment, ce n’est pas assez ?

— Non… Qui vive ?

— Charras, premier aide de camp du général Pajol, commandant en chef l’armée expéditionnaire de l’Ouest.

— Avancez à l’ordre.

La chose était tenue militairement, comme on voit.

— Qui commande ici ? demanda Charras.

— C’est le général Exelmans.

— Je lui en fais mon compliment… Conduisez-moi lui.

On satisfit à ce désir, qui n’avait rien d’exorbitant.

Le général était couché dans son manteau, à gauche de la route, sous un prunier.

Son fils était couché près de lui.

Charras exposa l’objet de sa mission.

— Savez-vous, reprit Exelmans, que nous crevons tous de faim, ici ?

— Général, ce n’est pas la faute du général Pajol : il a envoyé, avant onze heures du matin, le colonel Jacqueminot à Versailles, pour commander dix mille rations de pain.

— À qui ?

— Au préfet.

— Et ce b…-là ne les a pas envoyées ?

— Vous voyez bien que non, puisque je vais les chercher.

— Et vous m’assurez qu’elles ont été commandées ?

— Devant moi le colonel Jacqueminot est parti.

— Eh bien, monsieur, moi, le général Exelmans, je vous ordonne de faire fusiller le préfet.