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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

l’auberge mangeaient, assis à une table ronde, M. de Schonen, M. Odilon Barrot et M. le maréchal Maison ; ils se rendaient pour la seconde fois à Rambouillet.

En l’absence du général Pajol, Charras commandait. 

On lui amena le général Boyer ; celui-ci se nomma et avoua franchement qu’il allait offrir son épée à Charles X.

C’était un prisonnier assez embarrassant pour Charras.

Le jeune aide de camp entra dans la salle où dînaient les trois commissaires, et, s’adressant au maréchal Maison :

— Monsieur le maréchal, lui dit-il, on vient d’arrêter le général Boyer.

— Eh bien, demanda le maréchal, que voulez-vous que j’y fasse ?

— Voulez-vous le cautionner ? Je lui ferai rendre la liberté.

— Non, sacrebleu ! non, s’écria le maréchal. Gardez-le à vue ; Pajol va venir, il fera de lui ce qu’il voudra.

On conduisit le général Boyer dans une chambre voisine de celle où dînaient les commissaires.

Charras n’avait pas mangé depuis le matin qu’il avait déjeuné chez le général Pajol ; les commissaires virent facilement que leur dîner lui tirait l’œil…

On lui offrit de prendre place à table ; il accepta.

Le maréchal Maison ne buvait jamais que du vin de Champagne ; il versa coup sur coup trois ou quatre verres (on buvait dans des espèces de vidrecomes) à l’aide de camp du général Pajol, qui, l’estomac vide, les nerfs excités par sa campagne de la Fère, le front brûlé par six jours consécutifs de soleil, se sentit repris d’une ardeur toute nouvelle.

Il en résulta que, lorsque le général Pajol rejoignit, qu’il vit que le pain n’était pas arrivé, et demanda un homme de bonne volonté pour aller à Versailles, Charras, qui, avec les tours et les détours, avait peut-être déjà fait vingt lieues dans sa journée, Charras, dis-je, voyant que personne ne se présentait, s’offrit pour cette mission.

— Mais, sacrebleu ! dit Pajol, vous êtes donc de fer ?

— De fer ou non, dit Charras, vous voyez bien que, si je n’y vais pas, personne n’ira.