Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Bon ! il ne vous manquait plus que cela ! Vous avez risqué de vous faire fusiller, il y a trois jours, à Soissons, et voilà que vous allez vous faire casser quelque membre à Rambouillet !

— Mais ne savez-vous pas que Charles X marche sur Paris avec vingt mille hommes et cinquante pièces de canon ?

— Je sais qu’on le dit ; mais laissez les niais croire à de pareilles nouvelles… Pauvre Charles X ! je vous réponds que, s’il marche sur une ville quelconque, c’est sur le Havre ou sur Cherbourg.

— N’importe, mon cher ami ! Delanoue vient me chercher, et, quand ce ne serait qu’une occasion de faire une chasse à la grosse bête dans le parc de Rambouillet, je ne veux pas la manquer… Encore une fois, vous me parlerez de votre pièce à mon retour, si je reviens…

— Mets-moi donc de cette pièce-là, dit tout bas Delanoue.

— Sois tranquille, c’est dit.

Je me retournai vers Harel.

— Comment êtes-vous venu ? lui demandai-je.

— Mais en fiacre, donc.

— Bien ! nous prenons votre fiacre.

— Pour quoi faire ?

— Pour aller à Rambouillet.

— D’autant mieux, dit Delanoue, que c’est sur la place de l’Odéon qu’on se réunit.

— Ah ! vous nous prêterez votre drapeau tricolore, n’est-ce pas, Harel ?

— Vous me conduirez bien jusqu’à l’Odéon ?

— Soit.

— Quel drapeau tricolore ?

— Celui avec lequel on chante la Marseillaise depuis trois jours, à votre théâtre.

— Et moi, donc ?

— Vous ferez une annonce au public dans laquelle vous direz que c’est moi qui l’ai emporté à Rambouillet… Le public est bon enfant, il se passera de drapeau un jour ou deux.

— Venez et prenez le drapeau… Vous savez-bien que le théâtre tout entier est à vous.