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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

visées en deux catégories : les petits coupables et les grands coupables.

Les petits coupables furent déférés à la police correctionnelle ; les grands coupables renvoyés devant la cour d’assises.

Il résulta de cette disjonction un fait assez curieux. À cette époque, la police correctionnelle condamnait toujours, tandis que le jury acquittait avec acharnement. Les petits coupables, qui comparaissaient en police correctionnelle, furent condamnés ; — les grands coupables, qui comparaissaient devant le jury, furent acquittés.

Le tailleur vêtu de vert faisait partie des grands coupables ; il fut offert au jury comme une pièce de conviction vivante. Le jury déclara qu’il n’y avait point que les billards qui eussent le droit d’être habillés en vert, et que, s’il plaisait à un citoyen de s’habiller comme un billard, les opinions politiques étant libres, à plus forte raison les fantaisies somptuaires devaient-elles l’être.

Quant à la question religieuse, elle fut jugée en faveur de l’Église française, et la chose dura autant que dura l’abbé Ledru lui-même, c’est-à-dire quatre ou cinq ans. Pendant cette période de temps, la paroisse de Lèves fut, sans que cela produisit grande sensation en France, détachée du culte général du royaume.

Au bout de ce temps, l’abbé Ledru fit la sottise de se laisser mourir. Je ne sais dans quelle langue et avec quel rit il fut enterré ; mais je sais que, le lendemain de sa mort, les Lévois demandèrent un autre desservant à l’évêque, et que l’évêque, bon père pour ces nouveaux enfants prodigues, leur en envoya un.

Le troisième fut reçu avec autant d’honneurs qu’on avait amassé d’ignominies pour recevoir les deux premiers. L’église du culte français fut fermée ; l’église du culte romain fut rouverte ; le nouveau desservant rentra dans l’ancien presbytère ; la Grenadier se constitua sa plus fervente et sa plus humble pénitente, et la langue de Cicéron et de Tacite redevint la langue dominicale des Lévois, rentrés dans le giron de la sainte Église.