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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

savante retraite que l’on eût pu attendre d’hommes qui avaient vaincu ces troupes que l’on est habitué à appeler les premières du monde, on n’assista qu’à une fuite des plus rapides ; chacun sauta des fenêtres dans le jardin, escalada les murailles, et regagna Lèves en grand désordre et à travers champs.

Le même soir, toute trace de barricades avait disparu. Le lendemain, chaque habitant de Lèves vaquait à son travail, à son plaisir ou à ses affaires.

Personne ne pensait plus à rien, quand, tout à coup, on vit arriver à Chartres toute une armée venant de Paris, de Versailles et d’Orléans.

Cette armée traînait avec elle vingt pièces d’artillerie. Le général Schramm la commandait. Elle venait rétablir l’ordre.

Depuis quinze jours, l’ordre s’était rétabli tout seul !

N’importe comme l’ordre avait été troublé, on marcha sur Lèves pour y opérer une razzia.

Le village menacé regarda tranquillement venir cette justice boiteuse ; ses onze ou douze cents habitants se tenaient modestement sur leurs portes ou à leurs fenêtres ; la paix et l’innocence régnaient de l’orient à l’occident, du sud au septentrion ; on eût dit qu’on entrait dans la vallée de Tempé, au temps où Apollon gardait les troupeaux du roi Admète.

Les habitants de Lèves avaient l’air des acteurs de cette pièce — je ne me rappelle plus laquelle — où Odry avait à contre-temps envoyé chercher le commissaire : le commissaire arrivait quand tout le monde était d’accord ; de sorte que chacun se demandait, avec le plus profond étonnement : « Qui donc a envoyé chercher un commissaire ? Est-ce vous ? est-ce vous ? est-ce vous ?… Non… J’ai demandé un commissionnaire, répondait Odry, un simple commissionnaire ; voilà tout ! » et le commissaire s’en allait fort penaud et les mains vides.

Cela se passait ainsi dans la pièce, mais ne devait pas se passer précisément de la même façon à Lèves. Une vingtaine de personnes furent arrêtées. Ces vingt personnes furent di-