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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

gination était bien plus positif pour lui que ce qu’il faisait en réalité.

Félix Bodin venait d’inaugurer l’ère des résumés historiques ; les éditeurs Lecointe et Roret allaient demandant des résumés à tout ce qui ressemblait à un écrivain ; les résumés pleuvaient comme grêle ; le  plus humble écolier se croyait tenu de faire son résumé. C’était un vrai fléau ! les gens les plus inoffensifs se trouvaient atteints du résumé. — Rabbe, du premier coup, éclipsa tous les faiseurs obscurs : il publia successivement les résumés de l’histoire d’Espagne, de l’histoire de Portugal et de l’histoire de Russie, tous tirés à plusieurs éditions. Un talent admirable d’historien fut dépensé dans ces trois livres, qui n’eurent d’autre tort que le titre banal sous lequel ils furent publiés.

— Que faites-vous ? demandait souvent Thiers à Alphonse Rabbe, en voyant celui-ci noircir des rames de papier.

— Je travaille à ma Sœur grise, répondait Rabbe.

Dans l’été de 1824, Mignet fit un voyage à Marseille, et, devant tous les amis de Rabbe, s’étendit en éloges à l’endroit du roman de la Sœur grise, toujours attendu, mais que Mignet croyait tirer à sa fin.

Outre ses beaux livres d’histoire, Alphonse Rabbe écrivait dans le Courrier français d’admirables articles sur les beaux-arts. Rabbe, sous ce rapport, était non-seulement un grand maître, mais encore un grand juge.

Peut-être, nous devons l’avouer, était-il un peu injuste pour les vaudevilles, nu peu acerbe pour les vaudevillistes ; cette injustice allait chez lui presque jusqu’à la haine.

Il résulta de cette haine une assez grotesque aventure.

Un compatriote de Rabbe, un Marseillais nommé M. Brézé, était possédé de la rage de donner des conseils à Rabbe. (Plaçons ici, entre parenthèses, cette observation que le Marseillais est de sa nature grand donneur de conseils, surtout quand on ne lui en demande pas.) Donc, M. Brézé avait donné force conseils à Rabbe tandis que Rabbe était à Marseille, conseils que Rabbe, on le devine facilement, s’était bien gardé de suivre.