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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Eh bien, colonel, répondit nettement Charras, le gouvernement provisoire a cru nous envoyer à des patriotes ; il paraît qu’il s’est trompé, voilà tout.

— Et vous savez, messieurs, à quoi cette erreur vous expose ?

— Parbleu ! dit Charras, à être fusillés.

— Je suis obligé de vous quitter, messieurs ; vous allez me donner votre parole que vous ne chercherez pas à quitter cette chambre.

— Notre parole ?… Allons donc !… Faites-nous fusiller, si vous voulez ; vous prendrez la responsabilité de l’exécution devant le gouvernement provisoire ; mais nous ne donnons pas notre parole.

— Tout au moins, vous rendrez vos épées ?

— Non, non, non !

Le colonel se mordit les lèvres, dit quelques mots tout bas au chef d’escadron, et s’apprêta à sortir.

Charras fit un mouvement en arrière, de manière à toucher Lothon ; puis, tout bas :

— Le pistolet ! donne donc le pistolet, sacrebleu ! dit-il ; tu vois bien que ce b…-là va nous faire fusiller !

— Bah ! répondit Lothon, à la guerre comme à la guerre !

— Tu en parles bien à ton aise, toi, animal ; tu es déjà à moitié mort, et on ne fera que l’achever… Mais, moi, à part le trou que tu m’as fait, comme un imbécile que tu es, je me porte bien, et je ne veux pas me laisser égorger comme un poulet !

— Eh ! tiens-toi donc tranquille !… on ne fusille pas les gens ainsi sans dire gare, que diable !

Pendant ce temps, le colonel sortait, et les deux messagers restaient avec le chef d’escadron.

Le chef d’escadron paraissait meilleur prince que le colonel ; il était évidemment resté, par ordre de son chef, pour faire causer les deux jeunes gens, et savoir si tout ce qu’ils avaient dit était bien vrai.

Comme tout était, vrai, il n’y avait pas de danger qu’ils se coupassent.