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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

les renvoyer au trône ; ses recueils de chansons, qui, publiés en 1825 et en 1829, se vendaient à trente mille exemplaires, se vendent, en 1833, à quinze cents.

Mais que lui importe, à cet oiseau des solitudes, chantant pour chanter, parce que le bon Dieu, qui aime à l’entendre, qui préfère sa poésie à celle des missionnaires, des jésuites et de ces nains tout noirs qu’il nourrit et dont son nez craint les encensoirs, lui a dit : « Chante, chante, pauvre petit ! »

Aussi, le voilà qui chante à tout propos.

Escousse et Lebras meurent : il chante ! un chant triste, c’est vrai, plein de doute et de désenchantement ; il ne voit pas clair lui-même dans ce chaos qu’on appelle la société. Tout ce qu’il sait, c’est que la terre est mouvante comme un océan, c’est que le temps est à la tempête, c’est qu’il fait nuit sur le monde, c’est que le vaisseau qu’on appelle la France va plus que jamais à la dérive, est plus que jamais en perdition.

Écoutez : en avez-vous entendu beaucoup de chants plus douloureux, sur ces plages hérissées de rochers et couvertes de bruyères où vient, dans les criques de Morlaix et le long des falaises de Douarnenez ; se briser la mer sauvage ?

Quoi ! morts tous deux dans cette chambre close
Où du charbon pèse encor la vapeur !
Leur vie, hélas ! était à peine éclose ;
Suicide affreux ! triste objet de stupeur !
Ils auront dit : « Le monde fait naufrage ;
Voyez pâlir pilote et matelots !
Vieux bâtiment usé par tous les flots,
Il s’engloutit, sauvons-nous à la nage ! »
Et, vers le ciel se frayant un chemin,

Ils sont partis en se donnant la main !
 

Pauvres enfants ! quelle douleur amère
N’apaisent pas de saints devoirs remplis ?
Dans la patrie on retrouve une mère,
Et son drapeau vous couvre de ses plis !