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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Alfred de Vigny.

— Tu l’aimes ?

— Ne m’en parle pas, j’en suis folle !

— Et que fait-il pour te maintenir dans ces bons sentiments ?

— Il me fait de petites élévations[1].

— En ce cas, ma chère, reçois mes sincères compliments : d’abord, de Vigny est un poëte d’un immense talent ; ensuite, c’est un vrai gentilhomme : cela vaut mieux que moi, qui suis un mulâtre.

— Tu crois ? me dit Dorval avec une de ces intonations comme elle seule savait en donner.

— À mon tour, parole d’honneur !

— Alors, ce n’est pas pour cela que tu venais ?

Je me mis à rire.

— Dame !… répondis-je.

— Non… décidément, cela ne se peut pas ; imagine-toi qu’il me traite comme une duchesse.

— Il a parfaitement raison.

— Il m’appelle son ange.

— Bravo !

— L’autre jour, j’avais un petit bouton à l’épaule, il m’a dit que c’étaient des ailes qui poussaient.

— Mais cela doit énormément t’amuser, ma chère ?

— Je crois bien ! Piccini ne m’avait pas habituée à cela.

— Et Merle ?

— Encore moins… À propos, nous nous sommes mariés, avec Merle, tu sais ?

— Tout de bon ?

— Oui, c’était un moyen de nous séparer.

— Mais il doit être l’homme le plus heureux de la terre ?

— Tu penses !… Il a son café au lait le matin, et ses pantoufles devant son lit le soir… Veux-tu lui dire bonjour ?

— Merci ! je viens pour toi.

  1. Alfred de Vigny publiait, à cette époque, d’adorables poésies intitulées Élévations.