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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Bon ! dis-je, le bain sera complet !… Ah ! sacré imbécile que je suis de faire de pareilles promenades, quand rien ne m’y force !… Ah !…

Cette dernière exclamation m’était arrachée par la satisfaction que j’éprouvais de me retrouver sur la terre ferme.

Nous venions de débarquer dans cette petite anse qui se trouve entre Saint-Nazaire et le Croisic, à une lieue et demie à peu près de l’une et de l’autre de ces deux villes. J’avais le choix. Seulement, le Croisic m’éloignait d’une lieue et demie, tandis que Saint-Nazaire me rapprochait d’autant.

Il n’y avait donc pas d’hésitation à avoir : je me décidai immédiatement pour Saint-Nazaire.

Quant au pilote, il restait avec sa barque.

Le vent sifflait aussi sec que sur la plate-forme d’Elseneur, au moment où va apparaître le fantôme du roi de Danemark. Je n’avais qu’un moyen de me réchauffer : c’était de me donner le plus de mouvement possible. J’allongeai cinq francs dans la main du pilote, au lieu de trois que je lui avais promis, et la tête nue, les deux mains dans mes goussets, n’ayant pas un fil de mes vêtements qui ne fût mouillé de cette charmante eau de mer qui ne sèche jamais, je me mis à suivre le rivage au petit trot.

Une heure après, j’arrivais à Saint-Nazaire, et je frappais à la porte de la seule auberge du lieu, laquelle faisait toute sorte de difficultés pour s’ouvrir et recevoir, à onze heures du soir, un homme sans chapeau.

Le dialogue qui devait amener mon introduction se prolongeant à l’infini, et ne promettant pas de se terminer à ma satisfaction, je pris le parti de jeter à travers la fenêtre du premier étage, de l’appui de laquelle l’hôte me parlait, une pièce de cinq francs. De cette façon, l’hôte était sûr que je payerais mon coucher.

La pièce retentit sur le plancher de la chambre ; l’aubergiste la ramassa, alluma une lampe, et, s’étant assuré que ma pièce était de bon aloi, se décida à m’ouvrir.

Dix minutes après, j’étais tout nu devant un immense feu de bruyères qui me rôtissait sans me réchauffer ; mais j’étais