Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
110
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

donne l’espérance de pouvoir faire, un jour, si l’occasion s’en présente, des romans maritimes comme Cooper ou tout au moins comme Eugène Sue.

J’en étais au beau milieu de mon examen, lorsque le canot aborda pour la seconde fois ; il amenait nos deux jeunes époux et leurs bagages.

La jeune femme ne se donnait plus la peine de retenir ses larmes : elle pleurait abondamment et apertement. Cela fit qu’elle ne me vit point approcher de l’escalier de tribord, et que, quand je lui donnai la main afin de l’aider à passer de l’échelle sur le pont, elle poussa un petit cri de surprise.

— Ah ! monsieur ! me dit-elle, est-ce que, vous aussi, vous partez pour la Guadeloupe ?

— Hélas ! non, madame, lui dis-je ; non, à mon grand regret ; mais c’est justement parce que je reste que vous me trouvez ici.

— Je ne vous comprends pas, monsieur.

— Je vous ai vue triste ; je sais que vous quittez des personnes qui vous sont chères… En ma qualité de compatriote, j’ai voulu prendre vos dernières commissions pour elles.

— Oh ! monsieur, dit-elle, vous êtes trop bon !

Et elle regarda son mari, comme pour lui demander jusqu’où elle pouvait s’engager dans une pareille conversation avec un inconnu.

Celui-ci sourit et me tendit la main, pendant que, d’un coup d’œil, il donnait toute liberté à sa femme.

— Oui, dit-il, soyez assez bon pour vous charger des derniers adieux de ma chère Pauline à sa famille, et dites bien à sa mère, si vous la voyez, qu’avant trois ans nous reviendrons lui faire une visite.

— Trois ans !… murmura la jeune femme d’un air de doute.

— Mais dites donc à cette entêtée, monsieur, reprit le mari en approchant ses lèvres du front de sa femme, que l’on va maintenant à la Guadeloupe plus facilement qu’on n’allait autrefois, à Saint-Cloud… Je n’ai pas trente ans, et j’ai déjà fait douze voyages de la Pointe-à-Pitre à Nantes.