CXLV
Nous remontâmes du National aux boulevards. À la hauteur de la rue Montmartre, nous entendîmes quelque chose comme une fusillade du côté du Palais-Royal.
Il était à peu près sept heures du soir.
— Hein ! qu’est-ce que cela ? demandai-je à Carrel.
— Pardieu ! répondit-il, c’est un feu de peloton.
— Eh bien, venez-vous de ce côté-là ?
— Ma foi, non ! répondit Garrel ; je rentre chez moi.
— J’y vais, moi, lui dis-je.
— Allez-y ; mais ne soyez pas assez fou pour vous jeter dans tout cela !
— Soyez tranquille… Adieu !
— Adieu !
Carrel s’éloigna de son pas calme et mesuré par le faubourg Montmartre, tandis que je m’élançais tout courant par la place de la Bourse.
Je n’avais pas fait cinquante pas, que je rencontrai le docteur Thibaut. Il avait l’air très-affairé.
— Ah ! c’est vous, cher ami ? lui dis-je. Eh bien, quelles nouvelles ?
Thibaut, qui affectait d’habitude une gravité sans laquelle il prétendait qu’un médecin ne pouvait pas faire son chemin dans le monde, était, cette fois, plus que grave : il était sombre.
— Mauvaises ! répondit-il ; cela s’embrouille horriblement !
— Mais on se bat ? lui dis-je.
— Oui ; un homme a été tué rue du Lycée, et trois autres dans la rue Saint-Honoré… Les lanciers chargent dans la rue de Richelieu et sur la place du Palais-Royal… Une barricade