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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je dois dire que bientôt la conversation déviait, passant de l’art aux artistes, de la pièce aux acteurs, et qu’il était au moins autant question entre nous de mademoiselle Virginie Bourbier, de mademoiselle Louise Despréaux, de mademoiselle Alexandrine Noblet et de mademoiselle Léontine Fay que d’Henri III et de Christine.

Mais ces séances n’étaient jamais bien longues ; au bout d’un instant, on entendait M. le duc d’Orléans chantant sa messe, ou M. un tel glapissant le nom du duc de Chartres, et le jeune prince, qui, devenu homme, continuait de trembler devant le roi, se sauvait par quelque porte dérobée en balbutiant :

— Oh ! monsieur Dumas ; ne dites pas que vous m’avez vu !

Quelque temps avant la représentation de Christine, il était descendu et m’avait exprimé tout le désir qu’il éprouvait d’assister, avec ses deux jeunes frères, à la représentation de mon second drame ; mais il avait peur que la permission ne lui en fût refusée.

Aussi, que venait faire près de moi le pauvre enfant ?

Il venait me prier de manifester au duc d’Orléans le désir que ses enfants assistassent à la représentation de ma pièce.

J’étais on ne peut plus disposé à faire cette demande, et, la première fois que je vis Son Altesse, je la risquai.

Le prince fit deux ou trois hum ! hum ! qui indiquaient toute sa défiance à l’endroit de la moralité d’une pièce défendue un instant par la censure ; mais je le rassurai de mon mieux, et j’obtins, à force d’instances, que les jeunes princes assisteraient à la représentation.

Au prochain jeudi, je ne manquai pas d’aller à la bibliothèque ; je me doutais bien que j’y verrais le duc de Chartres ; en effet, il descendit, mais accompagné de M. de Boismilon ; cependant, il trouva moyen de passer près de moi, et de me dire à demi-voix :

— Nous y allons ! merci…

J’ai promis une anecdote relative à la paresse de M. le duc de Chartres, — paresse qu’on dissimulait fort à son père, — et que les prix dont on accable d’ordinaire les jeunes princes ne