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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

au Courrier français ; Adolphe n’était pas revenu parce qu’on l’avait envoyé chez Laffitte.

Dans les bureaux du Courrier, on rédigeait une protestation au nom de la Charte. Cette protestation devait être signée par tous les journalistes. Quant aux moyens de résistance, on ne parlait encore que du refus de l’impôt.

Tout à coup, Châtelain entra triomphant : M. de Belleyme venait de rendre une ordonnance qui prescrivait aux imprimeurs d’imprimer les journaux suspendus.

Tout le monde politique a connu Châtelain ; c’était un des hommes les plus honorables de la presse, un des rares républicains de 1830.

Il déclara formellement que le Courrier français paraîtrait le lendemain, dût-il paraître sous sa seule responsabilité.

Adolphe de Leuven rentra à son tour. Il avait été chez Laffitte, dont il avait trouvé la porte fermée.

Je retournai donner ces nouvelles à madame de Leuven ; malheureusement, elles n’étaient pas tout à fait aussi pacifiques que celles de la colombe, et j’étais loin de revenir une branche d’olivier à la bouche ; cependant, je la rassurai à l’endroit de son mari et de son fils : tous deux étaient bien portants, et devaient rentrer aussitôt que la protestation serait arrêtée.

Nous disons arrêtée et non signée, parce que cette question fut longtemps débattue, de savoir si la protestation serait signée ou non.

Les uns prétendaient qu’il y avait dans la presse une force inconnue qui grandissait par le mystère. Ceux-là étaient d’avis que la protestation ne devait pas être signée. D’autres prétendaient, au contraire, que mieux valait faire acte public d’opposition, et signer la protestation en toutes lettres.

Chose étrange ! c’étaient MM. Baude et Coste — deux hardis tirailleurs cependant — qui étaient d’avis de garder l’anonyme ; et c’était M. Thiers, le prudent politique, qui était d’avis qu’on se nommât.

L’opinion de M. Thiers l’emporta.