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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je la déterminai même à rester à Paris ; elle était jeune, elle pouvait attendre ; les occasions ne manqueraient pas, si elle se tenait prête à les saisir ; d’ailleurs, si ces occasions ne venaient pas d’elles-mêmes, je m’arrangerais de manière à les faire naître.

J’avais déjà assez de réputation, à cette époque, pour qu’une pièce signée de mon nom fit ouvrir les deux battants du théâtre à l’homme ou à la femme que je voudrais bien charger d’en porter le manuscrit au directeur.

En attendant, à l’exemple de l’abbé Vertot, je commençai mon siège. Je crus un instant que, comme Achille devant Troie, j’en avais pour neuf ans ! Je me trompais : j’en avais, comme le duc d’Orléans devant Anvers, pour trois semaines seulement.

Que mes lectrices soient franches, et elles avoueront ce que nos ingénieurs français ont avoué hautement à la gloire du général Chassé : c’est qu’une résistance de trois semaines est une résistance fort honorable, et qu’il y a peu de places, si bien fortifiées qu’elles soient, qui tiennent ce temps-là.

Or, la mienne avait tenu, et, comme elle n’avait été enlevée que par surprise, elle n’avait pu mettre dans la capitulation qu’il me serait défendu de quitter Paris sous prétexte de curiosité.

J’ai dit à quel point ma curiosité était grande de voir Alger au moment où cette ville venait d’être prise, et comment une curiosité plus grande encore me faisait renoncer à ce projet.

Puis, avouons une chose dont je crois me souvenir, si loin qu’il y ait du jour où j’écris ces lignes à l’époque où se passaient les événements que je raconte, c’est que cette extrême curiosité de voir Alger m’était venue dans un instant de mauvaise humeur, et que, cet instant de mauvaise humeur passé, de même que j’avais été fort content de trouver un prétexte pour partir, peut-être étais-je très-satisfait de trouver un prétexte pour rester.

À une heure, nous descendîmes, Achille Comte et moi ; nous fîmes quelques pas ensemble sur les quais ; puis, comme au-