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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pas davantage le motif que j’alléguai pour rester en France, et qui était absolument le même, — la curiosité. Son avis était que j’aurais pu trouver une meilleure raison, d’abord pour partir, ensuite pour rester.

Les lecteurs qui m’ont fait la grâce de suivre les différentes phases de ma vie dans ces Mémoires doivent s’être aperçus combien j’ai été avare de détails du genre de ceux que je leur communique en ce moment ; mais j’aurai plus d’une fois occasion de revenir sur cette liaison, dont Dieu a permis que, pour les mauvais jours, il me restât un de ces vivants souvenirs qui changent les tristesses en joie, les larmes en sourire.

C’était à Firmin que j’en étais redevable. Il avait été jouer Saint-Mégrin en province, et, un jour, il était entré chez moi m’amenant une magnifique duchesse de Guise, pour laquelle il réclamait toute mon influence théâtrale.

Je commençai par demander à Firmin quel degré d’intérêt et quel, genre d’intérêt il portait à sa protégée.

J’ai toujours fort respecté les protégées de mes amis, et, en face de cette belle personne, la demande acquérait une certaine importance.

Firmin m’avait répondu que son intérêt était tout artistique, et qu’ainsi le mien pouvait prendre la forme qui lui conviendrait.

Alors seulement, j’avais remarqué que la belle duchesse, que, jusque-là, je n’avais examinée que comme ensemble et au point de vue de la scène, avait des cheveux d’un noir de jais, des yeux azurés et profonds, un nez droit comme celui de la Vénus de Milo, et des perles au lieu de dents.

Il va sans dire que je me mis à son entière disposition.

Malheureusement ou heureusement, l’époque des engagements de théâtre était passée ; les engagements de théâtre ont lieu au mois d’avril, et madame Mélanie S*** m’avait été présentée vers la fin du mois de mai.

J’échouai donc dans mes recommandations ; mais, comme la belle duchesse vit bien qu’il n’y avait point de ma faute, elle ne prit pas de rancune de ma non-réussite.